Le suicide chez les enfants : Boris Cyrulnik s'attaque à un tabou

Publié le par Lalie Bellule

 

sad.jpgDepuis de nombreuses années les préventions du suicide chez les adolescents ou les adultes ont fait des efforts considérables pour comprendre les facteurs de risque suicidaire. En revanche, le suicide chez les enfants reste un sujet largement méconnu et absolument tabou car inconcevable. Face au manque dramatique d’information la secrétaire d’Etat à la jeunesse Jeannette Bougrab a chargé Boris Cyrulnik de faire un rapport afin d’attirer l’attention sur ce phénomène. Paru en septembre 2011 aux éditions Odile Jacob sous le titre « Quand un enfant se donne la mort », il avance plusieurs pistes de réflexion.

Le rapport du pédopsychiatre Boris Cyrulnik constitue une première étape importante dans l’étude du suicide chez les enfants âgés de 5 – 12 ans. Selon les chiffres officiels, entre trente et cent enfants se suicideraient chaque année dans cette tranche d’âge. Le médecin estime cependant que ces chiffres sont largement au – dessous de la réalité en  affirmant que les adultes préfèrent voir dans les comportements à risques enfantins des accidents ou des jeux dangereux plutôt que des tentations suicidaires. Par ailleurs, le phénomène est particulièrement difficile à cerner car il est très complexe de percevoir le mal – être chez un enfant. En effet, il vit dans le temps immédiat, il est donc compliqué pour lui de dire sa détresse. La prévention est également problématique car chez les enfants, le passage à l’acte est très soudain et les patients rapportent qu’ils n’ont pas réfléchi avant d’agir.

16% des moins de 13 ans pensent que la mort pourrait être une solution à leurs problèmes

L’impulsivité des enfants les pousse à commettre un acte particulièrement violent tel que pendaison, strangulation ou défenestration alors que leurs désirs suicidaires sont souvent peu intenses, contrairement aux adolescents et aux adultes. Selon le rapport 16% des enfants de moins de 13 ans pensent que la mort pourrait être une solution à leurs problèmes de famille, d’école ou de relations amicales qui peuvent être pour eux de profondes source de souffrance.

Boris Cyrulnik indique que dans la majorité des cas les raisons qui pousseraient un enfant à se donner la mort sont multifactorielles et qu’une somme d’événements, pas nécessairement liés, peuvent entrainer des déchirures insondables, invisibles. Il peut s’agir d’un deuil, d’un conflit entre parents, de maltraitances, d’un harcèlement à l’école mais cela peut également être provoqué par des petits riens dérisoires comme une phrase blessante, une frustration, une mauvaise note, le déménagement d’un copain… Quoi qu’il en soit, il est évident que des raisons bien plus profondes se trouvent à l’origine d’un acte suicidaire, à l’image de cette fillette de 9 ans qui s’est défenestré l’année dernière. Diabétique, elle ne supportait plus que sa nourrice la prive de bonbons, mais c’est en réalité un profond mal – être qui la faisait souffrir. Boris Cyrulnik évoque également dans les raisons d’un passage à l’acte la vulnérabilité émotionnelle  comme des carences affectives très précoces.

La position de Boris Cyrulnik ne fait pas consensus

Malgré le professionnalisme de Boris Cyrulnik, les spécialistes ne sont pas tout à fait convaincus par les résultats que présente le rapport et les points d’attaques sont multiples, à commencer par le choix de la tranche d’âge étudiée.  Michel Fize, sociologue au CNRS et spécialiste des questions de l'adolescence, de la jeunesse et de la famille estime en effet que le pédopsychiatre a commis une « grossière erreur d’analyse » en qualifiant « d’enfants » la tranche d’âge des 5 – 12 ans pour son étude. Selon lui, cet intervalle ne présente pas un ensemble homogène et l’on peut distinguer deux âges distincts : l’enfance proprement dite de 5 à 7 ans inclus d’une part et d’autre part l’adolescence débutante de 8 à 12 ans. Les chiffres avancés dans le rapport seraient donc faussés. Selon lui, les jeunes adolescents rejoignent aujourd’hui le cortège de leurs aînés pour échapper à d’insupportables souffrances.

Son confrère Marcel Rufo dénonce pour sa part l’emballement face à la médiatisation de quelques faits divers particulièrement tragiques. Il estime qu’il ne faut pas confondre risquer sa vie et vouloir mourir. Pour sa part, il affirme n’avoir rencontré dans sa carrière que trois cas de suicides d’enfants et pense « peu probable qu’il y ait une volonté suicidaire de masse chez les plus jeunes. » Il ajoute que "C'est idiot de dire qu'un enfant qui échappe à la surveillance des adultes et se noie dans une piscine s'est suicidé. » et que les accidents existent. Du côté de l'hôpital pour enfants Robert-Debré, parmi les plus grands de France et d'Europe, la question des volontés suicidaires des jeunes enfants est pourtant un élément quotidien du travail des équipes médicales. Selon Richard Delorme, chef du service pédopsychiatrique de l'hôpital, "près de 10 % des tentatives de suicide accueillies sont réalisées par des enfants âgés de 8 à 11 ans." Cependant, il estime que même si les remarques du rapport sont pertinentes, elles ne reposent pas sur une véritable observation scientifique.

Face à ces critiques et ces vives réactions, il n’en demeure pas moins que cette étude est une grande avancée dans la prise de conscience de ce phénomène. « Pour la première fois le suicide des enfants a été pris en compte dans le programme national d’actions contre le suicide » lors d’une réunion interministérielle qui s’est tenue le 6 février dernier se félicite Jeannette Bougrab. Reste aujourd’hui à prendre des mesures de prévention concrètes.Afin d’aller jusqu’au bout de sa réflexion, Boris Cyrulnik propose dans son rapport une série de préconisations à destination des pouvoirs publics :

Naissance : allongement des congés parentaux pour garantir une présence renforcée lors des dix premiers mois cruciaux de la vie

Professionnels : création d’une université de la petite enfance destinée aux médecins, infirmières, éducateurs et enseignants

Ecole : adaptation du rythme scolaire, lutte active contre le harcèlement, retarder la notation «stigmatisante» pour les petits


Famille : développer des «traits d'union» avec les enseignants, renforcer l'aide parentale


Culture : développement d’associations et clubs de quartier pour étoffer l’environnement social de l’enfant et lui permettre de trouver d’autres référents que sa famille

Prévention : mise en place de programmes de recherche, de soin et d'information, spécifiquement dédiés aux enfants et aux enseignants des classes primaires

Suivi : développement d'unités de soins spécialisés à l’image de celle dédiées aux adolescents et aux adultes

S’il ne fait pas l’unanimité, Boris Cyrulnik a néanmoins le mérité d’aborder un sujet que personne n’a envie d’évoquer. Son rapport est destiné à aider tous ceux qui entourent les enfants : familles, équipes éducatives, associations… Il invite à une véritable réflexion sur l’encadrement des enfants dans notre société. 

 

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